LE DEWOITINE 520

 

2014 Le Dewoitine 520_70 anniversaire

1) – LE DEWOITINE 520

2) – Quel est l’état des forces françaises au début du conflit ?

3) – L’avion du Musée et le dernier vol d’un Dewoitine

 

 

2014 Le Dewoitine 520 MAE

Le Dewoitine 520 en exposition dans le hall du Musée (MAE/A.Fernandez)

Mon petit-fils, qui préfère se plonger dans la contemplation des avions plutôt que dans l’étude de l’imparfait du subjonctif ou du théorème de Pythagore, m’a dit un jour “Papy! Les avions que je trouve les plus beaux sont ceux de la seconde guerre mondiale”. C’est vrai qu’ils sont beaux ces avions de guerre ; avec leurs airs de grands prédateurs, ils me font penser à ces poissons des mers tropicales qu’on nomme barracudas. Aussi, après vous avoir parlé tour à tour du Mustang et du Spitfire, j’aimerais vous en présenter un autre: le Dewoitine 520 que l’on peut voir, exposé sur un pylône d’environ deux mètres de haut en entrant dans le hall réservé aux avions de cette époque.

 

 

 

2014 Emile Dewoitine (à droite) et son pilote Georges Bardot MAE

Emile Dewoitine (à droite) et son pilote Georges Bardot, à Buc le 15 juillet 1923 (MAE).

Il est dû à l’ingénieur Emile Dewoitine. Né le 26 septembre 1892 à Crépy en Laonnois, il fait ses études à Reims avant d’entrer à l’école Breguet à Paris. Son service militaire se déroule à l’école Blériot d’Etampes et il passe la guerre dans la construction aéronautique où, appuyé par G. Latécoère, il participe, pour cette firme, à la production d’un millier d’avions de combat entre 1917 et novembre 1918.

 

 

 

 

 

 

2014 Le premier chasseur Dewoitine le D1

Le premier chasseur Dewoitine, le D1 (MAE).

Après la guerre, en 1920, il crée sa propre entreprise et sort en 1922 son premier avion de chasse : le D1, monoplan à ailes hautes au fuselage entièrement métallique qui sera construit à 234 exemplaires dont 29 pour la France et les autres pour l’exportation. Cet appareil est fabriqué sous licence en Italie par Ansaldo et il faut remarquer que c’est à cette firme que la Marine Nationale française achètera 30 exemplaires du D1ter.

 

 

 

2014 Le D33_Trait d'Union

Le D33 « Trait d’Union »(MAE).

Entre 1922 et 1940 les usines Dewoitine construiront 35 types d’avions différents, dont le D33 “Trait d’Union” monomoteur qui fut le premier avion en France à parcourir 10.000 km en circuit fermé et le D332 “Emeraude”, trimoteur de transport qui établit un record Paris-Saigon et s’écrasa dans le Morvan lors du vol de retour, le 15 janvier 1934. Néanmoins, cet ingénieur est principalement connu pour la réalisation de ses avions de chasse: D 500 et 510 et enfin et surtout, le D 520 sorti au tout début de la seconde guerre mondiale. E. Dewoitine disparaît à l’age de 87 ans, à Toulouse le 5 juillet 1979.

2014 Un D500 MA10680

Un D500 (MA10680)

2014 Un D510 MA29609

Un D510 (MA29609)

Faut-il le rappeler? Les origines de la deuxième guerre mondiale se trouvent dans l’issue de la première avec les traités qui en sont les conclusions. En effet, si les Allemands sont vaincus, la guerre ne s’est pas déroulée sur leur territoire qui est intact leur potentiel industriel un moment amoindri par les conditions d’armistice, s’est reconstitué avec du matériel moderne donc plus performant. Le sentiment de revanche n’aura, chez eux aucun mal à se réveiller sous les harangues d’un tribun comme Adolf Hitler. Si son arrivée au pouvoir en 1933 n’est pas, à proprement parler, à l’origine des avions Dewoitine, elle va fortement en accélérer la production.
Contrairement à l’Allemagne, la France qui a gagné la guerre a vu ses provinces du nord dévastées et ses usines et ses mines de fer ou de charbon sont à reconstruire complètement. Dans la population française se développe alors un sentiment de lassitude et de pacifisme bien compréhensible. Il est patent que les opinions publiques des deux pays ne sont pas du tout au même diapason.

Dans le livre “L’Aviation Militaire Française” qu’ils ont écrit en collaboration, les généraux Christienne et Lissarrague, respectivement chef du Service Historique de l’armée de l’Air et directeur du Musée de l’Air et de l’Espace nous décrivent cette atmosphère de doutes et de tergiversations stériles qui a régné en France au début des années 30. Le général Stehlin, qui était alors capitaine, attaché militaire adjoint près l’ambassade de France à Berlin, dans son livre “Témoignage pour l’Histoire” nous décrit les efforts de l’ambassadeur de France François-Poncet pour attirer régulièrement l’attention des autorités dont il dépendait sur les risques de voir l’Allemagne remilitariser la Rhénanie.

Il estime qu’en ce début 1936, une intervention de nos troupes d’active aurait été suffisante pour contrer cette éventualité, car l’armée allemande n’était pas encore en mesure de livrer combat, mais le gouvernement a reculé, craignant de se voir contraint à décréter la mobilisation. Il est vrai que de son côté, la Grande Bretagne qui ne se sentait pas directement concernée, n’envisageait pour sa part de n’agir qu’en qualité de médiatrice et que les Etats-Unis étaient plutôt hostile à toute idée d’intervention. Bref, les démocraties n’ont pas réagi au coup de bluff d’Hitler du 7 mars 1936 et ont laissé passer une chance qui ne se représentera plus.

De son côté, le général Denain qui, après avoir assuré les fonctions de Chef d’état major de la jeune armée de l’Air, était à cette époque ministre de l’Air, prévoyait la reprise des hostilités. Il avait lancé, pour ne pas être pris au dépourvu, des programmes d’armement sensés donner à la France une supériorité aérienne incontestable. Cette précaution qui était particulièrement pertinente d’un simple point de vue militaire, n’aura finalement servi à rien du fait de l’indécision politique. Au contraire, elle aura plutôt eu des conséquences fâcheuses en bloquant les crédits et en embouteillant les chaînes de production au moment où il faudra faire un effort pour rattraper notre retard dans la construction d’avions de combat modernes.

2014 Un Nieuport 62

Un Nieuport 62. Cet appareil équipait les unités de chasse au début des années 30 (MA3157).

Le Dewoitine 500 issu d’un programme destiné à remplacer les Nieuport 62 vole en 1932 et sera construit à 280 exemplaires. C’est un avion à ailes basses, cabine ouverte et train fixe, dont la vitesse maximale est de 370 km/h. Le Dewoitine 510, version améliorée du précédent dépasse à peine les 400 km/h; il provient d’un plan de réarmement, lancé en 1934 qui prévoyait la construction de 1.343 appareils militaires, dont 350 avions de chasse. Le dernier D 500 sera livré au milieu de l’année 1937 et le dernier D 510 en septembre 1938. Au moment des évènements de Munich, ces deux types d’appareils représentaient l’essentiel de l’aviation de chasse française qui ne comptait encore aucun appareil moderne dans ses rangs.

2014 Le Bloch 150

Le Bloch 150 (MAE)

2014 Le Morane 406

Le Morane 406, version opérationnelle du Morane 405 (MA28194).

En 1934, lors d’un concours lancé par le Service des Constructions aéronautiques seuls les Morane 405 et Bloch 150 avaient été retenus; le Dewoitine 513 qui n’avait pu dépasser la vitesse de 445 km/h n’avait pas été choisi. Le Morane 405 fait son premier vol d’essai le 8 août 1935, mais il faudra attendre le 20 janvier 1937 pour voir voler le deuxième prototype; la commande d’une présérie de 16 sera passée le 1ier mars 1937. L’appareil opérationnel, le Morane 406, équipé du moteur Hispano Suiza 12Y 31 de 860 ch dont la vitesse n’atteint pas encore 500 km/h n’entrera en service que fin décembre 1938 et l’équipement des unités ne sera effectué qu’au premier semestre 1939.

Pour souligner le retard pris par la construction aéronautique française, il faut se rappeler qu’à cette même époque, les avions Messerschmitt Bf 109 participent depuis deux ans à la guerre d’Espagne, que la version «E» est sur le point d’équiper les unités de la Luftwaffe et que le 4 août 1938, la Royal Air Force, sur le terrain de Duxford, inaugurait l’équipement du “ Squadron 19 ” avec son nouveau chasseur Spitfire.

C’est en 1936 que la France adopte les lois sur la semaine de 40 heures et les congés payés. Ces textes qui sont à l’origine de l’ensemble des règlements qui régissent encore aujourd’hui la vie sociale de la Nation ont évidemment, à longue échéance, une portée beaucoup plus fondamentale que la fabrication de quelques avions. Mais dans le contexte international de l’époque qui voit la montée en puissance du fascisme dans trois grands pays limitrophes de notre territoire, le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne tombent pas au moment le plus opportun et la comparaison avec les ouvriers allemands qui travaillent 70 heures par semaine dans les usines d’armement place notre pays dans un état d’infériorité dramatique. Pour compliquer les choses, la nationalisation des usines qui regroupe en unités plus importantes de nombreux ateliers, est plutôt une bonne décision, mais elle change complètement la structure de notre industrie aéronautique qui doit se réorganiser dans une certaine confusion et ne peut que difficilement faire face aux nouvelles commandes qui commencent à affluer.

Pour palier ces déficiences, il faudra acheter des appareils aux USA.

2014 Un Curtiss H75

Un Curtiss H75 de l’armée de l’Air en vol (MA1134)

Devant l’urgence, la priorité est donnée aux avions de chasse et la première commande effectuée en 1938 porte sur une centaine de Curtiss H 75 (P-36) ( 14 ) dont les performances sont légèrement supérieures à celles du Morane 406. De nouvelles commandes seront passées ; les livraisons commencent au début de 1939 et l’armée de l’Air disposera de 176 P-36 à l’entrée en guerre. Au moment de l’armistice, 316 de ces appareils auront été livrés.

Début 1936, pour tirer les conclusions de l’échec du D 513 et prévoyant que les nationalisations en préparation lui ôteraient quelque peu sa liberté d’action, E. Dewoitine constitue un bureau d’études privé qu’il lance sur la définition d’un avion pouvant atteindre au moins 500 km/h. Il va ainsi au devant d’une demande de l’armée de l’Air pour un avion capable de dépasser les 520 km/h qui sera formulée en septembre 1936. Cette exigence de vitesse est à l’origine du nom du nouvel appareil : ce sera le D 520. Le 3 avril 1938, l’Etat passe avec la “ Société Nationale des Constructions Aéronautiques du Midi ” (ex établissement Dewoitine) un marché pour deux prototypes avec, comme délais d’exécution le 1 novembre 1938 pour le premier et le 1 janvier 1939 pour le second.

2014 Marcel Doret à côté de son Dewoitine520-pegase139p6-3aama

Marcel Doret à côté de son D520 (MAE)

Le premier prototype fait son premier vol d’essai le 2 octobre 1938 et un second le 8 du même mois aux mains du célèbre pilote Marcel Doret.Il est équipé du moteur Hispano Suiza 12Y21 avec une hélice en bois à pas fixe et des radiateurs dans les ailes. Dans les deux cas, la vitesse de l’avion plafonne à 480 km/h. Remotorisé avec le moteur 12Y29, équipé d’une hélice Ratier tripale à pas variable et doté d’un radiateur ventral, le deuxième prototype est essayé, au nom de l’Etat, par le capitaine Constantin (dit Kostia) Rozanoff le 28 janvier 1939.Le 7 février, le pilote Léopold Gaby atteint en piqué la vitesse de 825 km/h et le 17 mars 1939, Kostia Rozanoff vole à la vitesse de 527 km/h à l’altitude de 5.000 mètres.

 

 

 

 

 

2014 Le capitaine Rozanoff

Le capitaine Rozanoff (MAE).

Ces performances amènent l’état à passer une première commande de 200 appareils le 7 avril. Les appareils seront équipés du moteur 12Y31 de 860 ch qui équipe déjà les Morane 406. Cette commande sera portée à 600 exemplaires en juin, puis à 1.280 en septembre avec comme nouvelle motorisation le 12Y45 doté du compresseur Szydlowski – Planiol qui porte la puissance du moteur à 930 ch.

 

 

 

 

 

 

 

 

2014 L'Arsenal VG33

L’Arsenal VG33 (MAE)

Au mois de mai 1940, on décide de porter la cadence de fabrication à 350 exemplaires par mois, dans le but d’atteindre 2.200 appareils en 1941. La rapidité avec laquelle toutes ces commandes sont effectuées montre bien l’urgence de la situation, mais l’industrie française qui n’a pas encore terminé sa mutation ne suivra que difficilement et de graves retards surviendront dans les mises au point et les livraisons des matériels aux unités.

Lors du concours de 1936, deux autres types d’avion avaient été retenus: le MS 450 et le VG 33, mais le premier ne volera qu’en avril 1939 et ne fera l’objet d’aucune commande et le second connaîtra de grandes difficultés de fabrication et ne sera construit qu’à cinq exemplaires en juin 1940;; le D 520 reste donc le seul en course.

Jamais encore de telles commandes n’avaient été passées pour un avion qui n’était qu’au stade de prototype quelques mois avant de faire ses preuves en unités navigantes.

 

2014 Tableau de bord du D520

Tableau de bord du D520 sans horizon artificiel (MA32343).

Bien que cela n’entre pas, à proprement parler, dans le cadre de cet article, mon récit serait incomplet si je n’évoquais pas le problème des personnels. En effet, si en 1941, toutes les commandes d’appareils avaient pu être honorées, il n’y aurait pas eu de pilotes ou d’équipages en nombre suffisant pour les faire tous voler. En 1936, la quasi-totalité des personnels navigants est âgée. Beaucoup sont des anciens de la grande guerre et ils n’ont aucune expérience des vols sur avion moderne avec train rentrant et hélice à pas variable. Bien qu’un centre de formation à cette discipline ait été créé à Avord, la pratique du vol sans visibilité (V.S.V) n’est pas encore passée dans les mentalités; exemple symptomatique de cette conception, le tableau de bord du D 520 ne comporte pas d’horizon artificiel. On ne conçoit de voler que par beau temps et il n’existe aucun moyen d’approche par mauvaise météo autre que l’emploi de la radiogoniométrie. Former des hommes est long; le ministre Pierre Cot entame une politique de rajeunissement des cadres supérieurs; cela entraîne, par effet de vases communicants, un déficit chez les officiers subalternes. En attendant les sorties des premières promotions de la toute nouvelle “Ecole de l’Air”, la nomination au grade de sous-lieutenant des sous-officiers les plus confirmés permet de combler les vides dans l’encadrement des unités mais cela ne donne pas un pilote de plus. La mise en œuvre d’une politique dite “d’aviation populaire » qui consistait à donner des bourses dans les aéroclubs pour former de jeunes pilotes aura finalement un impact trop tardif et trop faible sur le nombre d’engagements dans l’armée de l’Air et d’autre part, si un matériel neuf qui sort d’usine est au mieux de ses possibilités, un jeune pilote qui sort d’école doit encore acquérir une certaine expérience des missions opérationnelles avant d’être déclaré apte au combat.

 

Article extrait du Pégase n°139 de décembre 2010.

 

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